Mais au fait, pourquoi faire une grande école ?

Attention au lecteur : c’est un article plus long que les autres ! Mais nous voulions creuser dans ce sujet compliqué en étant un éducateur et honnête, et si vous le lisez jusqu’à la fin, vous comprendrez beaucoup de choses que vos professeurs ne vous disent pas nécessairement, alors faites-nous confiance ! ?

Le monde des classes préparatoires pour les lycées est un univers très spécial. Il est en outre illisible pour les parents qui n’ont pas poursuivi leurs études là-bas eux-mêmes. C’est un environnement d’initié, où les hiérarchies sont subtiles et nombreuses. L’objectif de cet article est de revenir aux axes principaux qui caractérisent cet environnement, et d’expliquer les enjeux, de notre point de vue.

Et déjà, pourquoi faire des études ? !

Cette question peut paraître naïve, mais comme très souvent, les questions les plus naïves permettent une compréhension profonde du système scolaire et des liens avec le monde économique.

« Après avoir passé cette compétition dit sur lui-même, sur sa capacité à mener un raisonnement logique et abstrait, sa capacité à travailler, son ambition, sa gestion du stress »

Beaucoup de gens peuvent penser que le rôle de l’enseignement supérieur est de permettre aux étudiants d’accumuler des connaissances et des savoir-faire, qui seront ensuite utilisés dans le monde professionnel. Bien que cette vision soit réaliste dans certains domaines (médecine, droit, etc.), elle n’est absolument pas pertinente dans le monde de la CPGE, où les étudiants ont très rarement une idée claire de la profession qu’ils exerceront plus tard. D’autre part, les cours préparatoires hautement théoriques ne seront peu utilisés par les étudiants qu’une fois insérés sur le marché du travail (à l’exception de ceux qui sont destinés à une carrière académique, à la recherche ou à l’enseignement).

C’ est l’une des spécificités du programme pré-pa-grande école. Il est destiné aux étudiants ambitieux, dont la plupart n’ont pas encore une idée très précise de la profession qu’ils veulent exercer. Le diplôme qu’ils seront en mesure de acquérir après cinq ans d’études (2 ou 3 ans de préparation, puis 3 ans dans les écoles) leur permettra d’accéder à une grande variété de professions : professeur, banquier d’affaires, ingénieur, consultant, ou même avocat… Certaines professions nécessiteront évidemment une spécialisation à l’école, ou par l’intermédiaire d’un master en parallèle avec leur programme d’études. Mais dans l’ensemble, le choix des professions est très vaste. Et il est très rare qu’une fois dans le poste, le jeune diplômé ait à résoudre des exercices de mathématiques, alors que cette discipline est au cœur de la prepa scientifique ou commerciale.

Mais si les connaissances acquises en pre- ne sont pas utiles pour la plupart des métiers, quelle est la fonction de ce système ? Eh bien, c’est assez simple, ce cours vise à sélectionner, ou plus précisément, à envoyer un « signal ».

Théorie du signal : quésaco ?

La vision que nous pensons nous permet de comprendre cet univers d’une manière significative est la « théorie des signaux », qui est une théorie de l’économie comportementale développée par Michael Spence, économiste américain, en 1973. Il n’est évidemment pas question ici de revenir aux détails de cette théorie, mais de comprendre les grandes lignes de celle-ci.

L’ idée est que la raison pour laquelle un étudiant diplômé de Polytechnique ou HEC sera mieux rémunéré à la sortie de l’école qu’un diplômé d’un CCP moyen, n’est pas parce que le Polytechnicien aurait acquis des connaissances particulières au sein de son école, mais principalement parce qu’il a réussi le concours d’entrée envoie un « signal » aux recruteurs. Après avoir passé ce concours en dit des choses sur lui, sur sa capacité à mener un raisonnement logique et abstrait, sur sa capacité à travailler, sur son ambition, sur sa gestion du stress… Et ce sont des qualités particulièrement appréciées par les grandes entreprises.

« Être bon en mathématiques signifierait que vous avez un sens fort de la logique, et que vous savez comment résoudre des problèmes abstraits et complexes »

Donc plus le concours est difficile à obtenir, plus le signal est fort. C’est pourquoi actuellement, le baccalauréat a une très faible valeur sur le marché du travail, car il est couronné de succès par 80% des élèves du secondaire…

La place centrale des mathématiques dans ce processus :

Dans tout ce système, les mathématiques occupent une place centrale, et c’est une spécificité française

Il convient de noter qu’il est maintenant très rare qu’un concours pour l’entrée dans une école majeure ne contient pas de mathématiques. Même les admissions parallèles dans les écoles de commerce exigent une bonne note au célèbre Tage-Mage, qui est censé évaluer en partie les compétences numériques et logiques.

L’ ensemble du processus est basé sur un biais très fort : les mathématiques mesureraient une forme particulière d’intelligence et constitueraient en quelque sorte une discipline « neutre » et universelle qui permet de sélectionner les gens. Être bon en mathématiques signifierait que vous avez un sens fort de la logique, et que vous savez comment résoudre des problèmes abstraits et complexes. Surtout depuis que les mathématiques serait une discipline dans laquelle la famille l’environnement joue un rôle marginal et serait donc beaucoup plus « méritocratique ».

Nous ne sommes pas ici pour savoir si cette croyance est basée sur la réalité, elle irait bien au-delà du champ d’application de notre article ! Mais il s’agit de comprendre les grandes lignes du système scolaire.

Classement, encore et encore

Avec cette idée à l’esprit, nous comprenons comment toutes ces hiérarchies sont nées (très françaises, convenons une fois de plus…). La hiérarchie des Grandes Écoles est donc très fortement corrélée avec le niveau de mathématiques requis pour les examens d’entrée, donc pour les écoles d’ingénieurs (hors ENS) : Polytechnique, Centrale Paris et Mines de Paris, Centrale Lyon, plus ou moins au même niveau que Supélec et Les Ponts… Et pour les écoles de commerce : HEC, ESSEC, ESCP, EM Lyon… Ces classements sont renforcés par les classements dans les souhaits des étudiants.

Le système des lycées produit ainsi une hiérarchie fine des facultés scolaires afin d’envoyer des signaux à la divers acteurs dans le monde du travail.

Il convient de noter ici que l’une des raisons pour lesquelles ce système est tout à fait illisible de l’étranger est que les promotions sont composées de relativement peu d’élèves (Polytechnique, par exemple, compte 400 étudiants français par promotion, ce qui est très faible au niveau international), ce qui explique en partie le classement moyen de ces lycées dans les classements internationaux, basés sur de nombreux facteurs quantitatifs (nombre de publications, nombre d’élèves…)

D’ autre part, cette sélectivité extrême permet une très fine granularité dans l’évaluation des capacités scientifiques d’un élève. L’Ecole Normale Supérieure, qui est l’école la plus sélective dans le recrutement d’étudiants issus des classes préparatoires scientifiques, est donc la première mondiale dans le classement des établissements producteurs de prix nobel par rapport au nombre de diplômés de la même école (lien ici). Il convient donc de noter que d’un point de vue purement académique, ce système est extrêmement efficace pour identifier la future médaille Fields et d’autres prix Abel (voir l’article Yves Meyer étant lui-même un Normalien…)

Le système des lycées produit ainsi une hiérarchie fine des facultés scolaires (intelligence mathématique et scientifique, facilité d’expression écrite et orale, etc.) afin d’envoyer des signaux aux différents acteurs du monde du travail (recruteurs, collègues, etc.).

Bien sûr, nous savons parfaitement bien au Cours des Grands, il y a clairement une dimension arbitraire dans cette hiérarchie… Les compétitions sont parfois jouées à trois fois rien, certains élèves les manquent à 0,1 point, ou les obtiennent parce qu’ils sont bilingues en anglais, d’autres les manquent parce qu’ils ont été bouleversés par une tragédie dans leur famille… En d’autres termes, il n’y a rien de « scientifiquement exact » dans cette perception. Mais cette perception existe, et il suffit d’en être conscient !

D’ autre part, il convient également de souligner, certains métiers ont une technique très importante composant, où un diplôme d’école d’ingénieur de grade A est pour le hit « objectivement » nécessaire. C’est le cas, par exemple, de certains métiers dans le domaine du financement de marché ou de la recherche.

Mais qu’est-ce que cela signifie dans la vraie vie ?

Tout cela implique que ce qui doit vous amener à prendre vos décisions d’orientation, en prepa ou ailleurs, ce n’est pas tant les connaissances qui vous seront fournies dans un domaine donné que la valeur perçue du diplôme que vous obtiendrez à la fin de cette formation. Et nous insistons sur ce mot : perçu ! ! ! ! En d’autres termes, la question n’est pas de savoir si les diplômés de Centrale Paris sont « intelligents », mais de se rendre compte que beaucoup de gens le pensent, et c’est ce qui est important.

« Avec ce niveau de revenu, un jeune diplômé est déjà dans 70% des salariés les mieux rémunérés en France »

Ces hiérarchies sont présentes dans l’esprit des individus de certains milieux depuis longtemps… Il n’est pas rare de rencontrer des gens d’un certain âge, très fiers dès que l’occasion est donnée, d’expliquer à leur public qu’ils ont obtenu leur diplôme de telle ou telle école il y a plus de 40 ans…

Salaires à la sortie…

L’ un des indicateurs de la réputation de ces écoles est comme vous l’imaginez le niveau des salaires à la sortie. Ainsi, selon les enquêtes de la Conférence des Grandes Écoles, le salaire moyen à la sortie d’une grande école est d’environ 35 000 euros bruts par an. Pour se faire une idée de ce niveau de rémunération, il est important d’avoir à l’esprit la répartition des salaires en France. Avec ce niveau de revenu, un jeune diplômé se situe déjà dans le top 70% des salariés les plus rémunérés de France, alors qu’il n’a que 24 ans… Les diplômés de Polytechnique et HEC sont rémunérés en moyenne à l’école en laissant 45 000 euros bruts par an, ce qui les place dans les 85% des salariés les plus rémunérés de France, également âgés de 24 ans…

Et donc si je ne vais pas dans une grande école, j’ai raté mon la vie ? ! ?

Malheureusement, et c’est une conséquence du système des prepas et des lycées, nous observons au Cours des Grands une grande anxiété chez les élèves et leurs familles. Il y a une surévaluation des enjeux, alimentée par de nombreux discours selon lesquels le marché du travail est devenu trop compétitif, et où, sans diplôme d’études secondaires, on ne pourrait mener une existence prospère et heureuse… Cette idée est complètement fausse.

Dieu merci, le monde est beaucoup plus complexe et multidimensionnel que ces hiérarchies simplistes auxquelles une minorité de personnes s’intéresse tant. Concrètement, votre diplôme peut avoir un impact, c’est vrai, lorsque vous postulez pour vos premiers stages, et pour vos premières offres d’emploi après vos études. Certaines entreprises n’acceptent que des stagiaires d’un très petit nombre d’écoles secondaires (par exemple, certaines sociétés de conseil en stratégie, certaines banques d’investissement, etc.). D’autre part, il est également vrai que les recruteurs ont souvent des grilles salariales, avec une hiérarchie qui correspond plus ou moins aux hiérarchies des écoles supérieures, pour les jeunes diplômés.

Mais il y a tellement d’autres facteurs qui comptent. Votre personnalité, votre motivation, votre intégrité joueront un rôle beaucoup plus important que vos diplômes dans votre vie professionnelle. Sans parler de votre réseau personnel, ou juste de votre chance… De plus, plus les années passent, plus votre « carrière » dépend principalement de vos performances personnelles et de vos propres qualités, qui ne sont pas des qualités académiques.

« le voyage est plus important que la destination »

Il convient également de noter que tout cela joue un rôle sur le marché du travail, si vous décidez de démarrer votre entreprise, votre diplôme n’aura qu’un impact marginal sur votre réussite éventuelle.

Donc, si pendant vos études, au lycée ou en prepa, vous réalisez que vous n’avez pas assez de niveau scolaire pour vous intégrer dans une grande école bien classée, n’en faites pas un drame ! Surtout, cela ne devrait pas affecter votre confiance en vous-même, qui pour le moment est un élément essentiel pour parvenir à une vie sereine et heureuse.

Alors on se détend, on se donne beaucoup, et on s’amuse !

Le but de cet article n’est donc pas de faire pression sur les épaules des étudiants, mais simplement de donner un point de vue aussi objectif que possible, en particulier pour les personnes pour lesquelles cet univers n’est pas familier. D’autant plus qu’il n’est pas facile de décrire dans un seul article les liens entre le monde des lycées et le monde de l’économie.

Mais si vous ne vous souvenez qu’une chose : oui, les choses se passent quand vous étudiez en classe préparatoire, donc si vous pensez être au niveau et que vous êtes motivé, allez-y ! Cela pourrait vous rendre la vie beaucoup plus facile. C’est pourquoi vous devrez mettre toutes les chances de votre côté pendant cette période, surtout en travaillant beaucoup, afin que vous n’ayez jamais de regret et que vous ayez ainsi le plus grand degré de liberté possible lorsque vous entrez sur le marché du travail.

Mais si le résultat des compétitions ne correspond pas à vos ambitions, nous vous disons très sincèrement, ce n’est pas la fin du monde, vraiment. La vie est pleine de surprises, de rebondissements, et un concours n’est qu’une étape dans votre parcours de vie. C’est pourquoi « le voyage est plus important que la destination », et autant que possible, nous vous conseillons de profiter de ces deux années (ou même trois, comme l’auteur de cet article !) très intense, d’un point de vue scolaire, mais aussi personnel.

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Pourquoi faire de grandes études ?